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Interview de Stéphane Siebert et Alain Bentéjac


​Opérant à des niveaux différents, la direction de la recherche technologique du CEA et le Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF) partagent toutefois un objectif : soutenir la compétitivité des entreprises françaises. L’occasion pour Les Défis du CEA de recueillir le point de vue de leur directeur, lors d’une rencontre organisée au siège du CNCCEF. 

Publié le 1 mars 2019

Stéphane Siebert et Alain Bentéjac

Stéphane Siebert, Directeur de la recherche technologique du CEA et Alain Bentéjac, Président du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France. © CEA/CNCCEF


Quel regard portez-vous sur la compétitivité des entreprises françaises ?

Stéphane Siebert : La France a des capacités industrielles remarquables, en particulier dans des secteurs d’avenir où se jouent une partie des enjeux économiques. Je pense au domaine de la voiture autonome où les français sont parmi les mieux placés : la proposition de Valeo à la dernière édition du salon CES (Consumer Electronic Show, plus grand salon technologique mondial à Las Vegas) était vraiment impressionnante sur la propulsion électrique comme sur l’autonomie. Dans le secteur de l’énergie nous avons également des champions, ainsi que dans la microélectronique bien qu’on pense souvent que cette activité est partie hors d’Europe. Or, c’est faux : dans tous les smartphones du monde, il y a un substrat qui est fabriqué par une entreprise française, Soitec ; et ST Microelectronics est le 11e fabricant de semi-conducteurs au monde.

Je suis très optimiste quant à la compétitivité française. Mais, nous ne défendons pas assez la culture de la technologie. Nous nous focalisons beaucoup sur l’aspect compétitivité-coût, alors que la différenciation sur le marché se fait aussi et souvent par le produit, grâce à l’innovation technologique. Nous n’avons pas encore cet engagement collectif comme l’Allemagne qui, lorsqu’elle lance son plan Industrie 4.0 en 2015, voit tout le monde se mobiliser, de la Chancelière jusqu’aux petits acteurs locaux. Leurs PME et ETI peuvent ainsi bénéficier de la proximité d’une université, d’un institut Planck ou Fraunhofer…

Je vois toutefois des signes favorables, comme l’initiative du gouvernement sur l’intelligence artificielle pour embarquer le plus de monde possible dans ce domaine crucial, lancer des plans de formation, accompagner le développement des technologies, faire du transfert industriel. C’est indispensable pour reconstruire une part plus importante de l’industrie dans l’économie, dont l’effet d’entrainement n’est plus à démontrer.


Le CEA au CES
Le CEA au CES © CEA


Partagez-vous cette analyse sur la compétitivité et la culture de l’innovation ?

Alain Bentéjac : Quand on regarde globalement le problème de la compétitivité, le meilleur thermomètre est celui du commerce extérieur. Or, la balance commerciale française est déficitaire depuis une vingtaine d’années, même si ce n’a pas toujours été le cas car il n’y a pas de fatalité. Il y a beaucoup de raisons dont l’une d’elle, et je vous rejoins, est la désindustrialisation relative de l’économie française. Il se trouve que l’Allemagne exporte trois fois plus que nous, la taille de son industrie est trois fois plus grande, tout comme sa force de R&D telle que vous venez de le dire.

Mais il existe une autre raison, non négligeable : celle de la compétitivité-coût. La dégradation du commerce extérieur a vraiment commencé au début des années 2000. La France voyait une augmentation de ses coûts alors que la politique allemande opérait un retour à la réduction des coûts et à la compétitivité. Cet effet a été aggravé par notre présence dans la zone euro qui nous a empêché de faire, comme par le passé, des dévaluations monétaires pour remettre les compteurs à zéro. 

Aujourd’hui les conditions s’améliorent : schématiquement, nous avons des coûts horaires dans l’industrie comparables aux coûts allemands. Mais beaucoup de secteurs (sauf le luxe, l’aéronautique, le nucléaire…) ont la réputation d’avoir des productions de qualité inférieure, que cela soit justifié ou non. 

Comment se remettre à niveau ?

Alain Bentéjac : Certes, l’industrie française doit travailler son image sur la scène internationale, et c’est le travail remarquable que réalise par exemple Business France, via notamment le label French Tech. Mais, d’un point de vue économique, nous avons deux options : soit, baisser nos coûts pour être 10 ou 20% moins cher ; soit, et je pense que c’est l’option la plus porteuse et c’est ce que vous disiez, investir davantage dans la technologie, la qualité et l’adaptation du produit aux besoins du client. Pour beaucoup de raisons, je pense que nous aurons toujours des coûts élevés en France. En revanche, il faut en effet regagner des parts de marché par le produit et le service. A cet égard, les efforts de politique macroéconomique entrepris ces dernières années doivent théoriquement redonner aux entreprises françaises des marges de manœuvre, libérant l’investissement indispensable à l’innovation. 

Mais il importe également d’avoir la bonne approche commerciale, cibler au mieux les besoins des clients ce qui implique une parfaire connaissance du terrain, travailler ensemble dans des filières. Autant d’objectifs qui sont au cœur de l’activité de notre réseau de conseillers du commerce extérieur. 

Stéphane Siebert : Ce qui vient d’être dit est fondamental et on ne l’entend que trop rarement : bien sûr, si l’on essaye de se battre sur la même gamme de produits que l’Espagne avec les coûts de l’Allemagne, on aura beaucoup moins de réussite ! Il faut donc monter en gamme, ce qui signifie injecter de la technologie. Or, ce n’est souvent pas le cœur de métier des industries manufacturières. Alors, elles doivent pouvoir évoluer dans des environnements technologiques de proximité. C’est le type d’accompagnement que nous proposons via les implantations du CEA en Régions. 

Le CEA et le CNCCEF auraient-ils intérêt à se rapprocher au niveau régional vu que votre réseau est également solidement implanté en France ?

Alain Bentéjac : Un tiers des conseillers au commerce extérieur est en effet basé en France, dans chaque région. En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons d’ailleurs un comité très dynamique, car il y a beaucoup de belles entreprises dans cette région, notamment en Isère. Certains sont déjà en relation avec vous, mais nous pourrions en effet envisager une collaboration plus structurée.
Nos conseillers opèrent sur tous les secteurs (agroalimentaire, banque, industrie, nucléaire, etc.) et ont su acquérir, depuis 120 ans, une bonne connaissance du terrain. En revanche, ils ne sont pas armés pour faire du conseil en développement technologique. Bien sûr, il y a des sensibilités à cette thématique parmi nos conseillers, comme ceux implantés aux Etats-Unis et que vous connaissez. De même, nos 130 experts basés en Chine sont très attentifs aux nouvelles technologies et aux nouvelles politiques industrielles, comme le programme China 2025 qui vise le développement d’une dizaine de filières industrielles d’avenir dans lesquelles les chinois investissent massivement. Et c’est très précieux que de pouvoir recueillir l’analyse des entreprises françaises implantées en Chine et de pouvoir bénéficier de leur réseau.

L’attractivité de la France est justement cet autre enjeu de la compétitivité

Alain Bentéjac : En effet, et il s’agit là d’une nouvelle mission que nous a confiée l’Etat il y a cinq ans, en complément de l’activité de Business France, des chambres de commerce et de l’Industrie ou de BPI France. Grâce à notre réseau implanté dans 150 pays, nous pouvons identifier les entreprises étrangères susceptibles de s’implanter en France, les approcher et leur prodiguer des conseils.

Stéphane Siebert

La force de nos écosystèmes est en effet très importante pour notre économie.

Si celui de Grenoble est en bonne santé, sa croissance est plutôt endogène. C’est-à-dire qu’elle repose sur des start-up locales qui ont su se développer en de solides entreprises. Or, si l’on se compare avec les grands pôles technologiques américains ou asiatiques, il nous manque la croissance exogène : nous devons amalgamer autour de nos noyaux des champions étrangers qui créent autant de nouveaux emplois qu’ils stimulent notre compétitivité. 

Il est donc très important que nous ayons des représentants à l’étranger pour faire valoir nos atouts et notre attractivité. C’est pourquoi nous portons un grand intérêt au travail de terrain de vos conseillers.



Le comité national des conseillers du commerce extérieur de la France

Association Loi 1901, reconnue d’utilité publique et non subventionnée, composée de 4500 conseillers bénévoles (dirigeants ou cadres-dirigeants d’entreprises) nommés par décret du Premier Ministre pour des mandats de trois ans renouvelables. Les deux tiers des conseillers sont implantés à l’international, dans 150 pays.

4 missions : 

  • Conseiller et dialoguer avec les pouvoirs publics en matière d’économie internationale.
  • Conseiller les entreprises qui souhaitent se développer et/ou s’implanter à l’international.
  • Contribuer à la formation des étudiants en commerce international.
  • Contribuer à améliorer et promouvoir l’attractivité du territoire français pour les investisseurs internationaux.

La direction de la recherche technologique du CEA

4500 chercheurs, 4 instituts (Leti, List, Liten, CEA Tech Régions), 7 implantations en régions (Bretagne, Pays-de-Loire, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte-D’azur, Grand-Est, Hauts-de-France), 500 partenaires industriels.

2 missions : 

  • Développer et diffuser les technologies des énergies renouvelables.
  • Développer et diffuser les technologies relatives à 4 grands enjeux : numérique (et toute l’intelligence attribuée) ; pollution & climat (systèmes énergétique pour l’industrie, les transports, le bâtiment) ; démographique, avec un volet santé (dispositif médicaux, génomique) et un volet raréfaction des ressources (économie de matière, recyclage, agriculture de précision) ; sécurité (Défense & cybersécurité).



Cette interview a été réalisée en partenariat avec Entreprendre à l’international, journal du CNCCEF.

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Elle est à retrouver dans Les Défis du CEA de ce mois de mars.



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